9.1.09

André Moreau, à propos de lui-même, en quelques mots.

Mon arrivée sur terre remonte au 8 février 1941. Il grêlait. Les armées hitlériennes victorieuses pénétraient à Paris. Je suis né à un père belge, électricien de son métier, arrivé au Canada en 1928, et à une mère canadienne-française qui avait perdu ses parents à l’âge de cinq ans, donc orpheline et sans instruction. J’ai gardé de cette période de ma vie une très forte impression d’éternité, si bien que j’en suis venu à penser par la suite que les essences éternelles que Platon situait dans un ciel intelligible n’étaient rien d’autre que les objets idéaux éternels entrevus par les hommes au cours de leur enfance. Je m’en suis rappelé et ils m’ont guidé dans la vie

Il faut donc situer mon apparition sur terre dans un pays nordique, dans une province francophone, le Québec, et dans un contexte urbain. J’ai passé mon enfance et mon adolescence au centre-ville de Montréal. Déjà à cette époque, il y avait de la pollution et j’étais souvent malade, mais je me suis toujours senti entouré d’amour. Mes parents m’ont tout donné et m’ont soutenu inconditionnellement. Dès mes premières années, j’ai compris que j’étais différent. Mon enfance a été celle d’un dieu entouré de douceurs et d’harmonie.

Jeune homme, le fait de ne pas avoir vécu comme les autres, dans un environnement mythique, la famille représentant l’île bienheureuse du Paradis et le monde extérieur la menace permanente de l’inconnu, faisait de moi un individu original en réaction contre les valeurs du milieu et quelqu’un qui prêtait le flan à la critique et au rejet. Mon esprit ne demandait qu’à prendre son essor. Mais j’étais un homme nouveau, très différent de mes confrères de classe, et je me développais en marge des institutions, ne jurant que par mon système naissant. Invariablement, mon originalité me nuisait. Même quand j’ouvrais les bras à mes confrères et que je les recevais dans mon boudoir, j’étais radicalement antisocial. Je considérais la société comme le monde à abattre. Et en cela, la Révolution Tranquille n’allait pas assez loin. Parfois, je surprenais autour de moi des rumeurs de rébellion clandestine. Je savais que quelque chose se préparait. Comment allais-je m’y prendre pour changer la mentalité médiévale qui avait survécu jusqu’à notre époque dans les esprits ? Monsieur Murin, un ancien professeur, me disait que c’est le lot des minorités : celui des Irlandais au Royaume Uni, des Flamands en Belgique, des Slovaques en Tchécoslovaquie et des Juifs en Allemagne. De tels propos, pourtant forts justes, ne m’encourageaient pas à me sentir un « citoyen du monde ».


LA PHILOSOPHIE C'EST LA GUERRE

J’avais développé une dialectique personnelle pour tenir tête aux truands de mon quartier et à mes condisciples menaçants à l’époque de mon adolescence. Sans le réaliser vraiment, cette façon de concevoir le langage a influencé la formation de mon système, d’autant plus qu’à 17 ans c’était les sophistes grecs qui m’avaient paru dignes d’intérêt, sans doute parce qu’à cet âge j’étais en rhétorique. Avec le temps, je comprends que la philosophie était devenue un art de la guerre, un art intellectuel bien sûr. J’ai retrouvé une note de cette époque qui dit : « À l’ombre des remparts crénelés de la méthodologie, à l’abri des machines de guerre de mon apophantique de l’absolu et de ma « fondamentologie », je me sens devenir plus sûr de moi, plus capable de laisser s’exprimer mon côté artistique et de me confronter à l’irréalité mensongère du monde, car je possède les ressources articulées qui me permettent de faire face à n’importe quel défi ». On pourrait dire que mon système en développement m’a aidé à me cuirasser, car je restais vulnérable aux attaques, aux dénis et aux rejets. Je savais que j’étais resté poète, mais en même temps, je cherchais dans la philosophie un moyen de mettre mes ressources en valeur. N’ayant pas vraiment d’appuis, je souhaitais me ressourcer en moi-même et rien ne me semblait aussi étranger que l’idée de la sagesse. En effet, la plupart de ceux qu’on disait sages autour de moi étaient gâteux. Je ne m’étais pas fait d’amis parmi « les sages » qui trouvaient choquante ma critique de la sagesse. Par la suite, je reconnus qu’il existait une sagesse métaphysique. En cela, je rejoignais Maritain. Mais je ne voulus jamais qu’on me traite de sage, car encore aujourd’hui, les opinions de ceux qu’on dit tels représentent un galimatias de rodomontades et de radotages.

JE VIS NU


Certaines personnes ont beaucoup de difficulté à vivre en société. Les explications qu'on leur donne au sujet des problèmes soulevés par la coexistence des humains sont absurdes et fantaisistes.

Naturellement, si tout le monde s’aimait il n’y aurait pas de guerres et les humains seraient portés à s’entraider. Mais voilà, tout le monde n’est pas aimable et il y a toujours un profiteur de service pour abuser des autres.

Toutes les difficultés rencontrées sur terre sont dues à un manque d’harmonie qui découle de l’insistance avec laquelle on se rue sur l’avoir au lieu de se soucier de son être.

Chaque individu devrait s’écouter et mette son être de l’avant pour réaliser ses projets, au lieu d’investir sur l’effort, le contrôle, le travail, le profit, le rendement.

On essaie de nous faire croire que l’homme est fait pour se lever tôt, pour se battre les flancs, pour lutter contre ses semblables et pour produire une qualité de vie qui l’épuise et finalement le tue.

Les agences de voyage nous invitent à faire des croisières, à connaître les vacances de notre vie, à visiter des pays exotiques. Mais cela coûte très cher, est épuisant et oblige le consommateur à travailler très fort pour jouir de ces moments privilégiés.

Ne voit-on pas qu’il s’agit de paradis artificiels créés pour obliger les gens à dépenser ? Dans cette société, la plupart des choses que l’homme est invité à faire sont factices, vides de sens et sans lendemain.

C’est dans la perspective d’abrutir les individus qu’on a créé la télévision, les rencontres sportives, les voitures et tous les gadgets technologiques du monde post-moderne. Mais il n’y a jamais eu autant de gens stressés qui souffrent de fatigue chronique, de dépressions et de suicides.

Je n’ai pas le goût de travailler pour mes concitoyens, pour le progrès social, pour le développement de mon pays. Le bien commun, c’est de la frime. Je veux m’occuper de moi correctement. Si tout le monde en fait autant, la vie deviendra agréable sur terre.

La glorification du travail qui caractérise notre société est une aberration. Personne n’est obligé de travailler, de pavoiser en public avec de beaux vêtements, de posséder la voiture de l’année, une grosse maison, un yacht et un avion.

Je vis nu, je ne possède rien et mon expérience me nourrit, me détend et m’inspire. J’ai autant d’amour que j’en  souhaite, je suis libre sans raison et heureux pour rien. M'a-t-on compris? 

VISION INTÉGRALE DE L’HOMME ET DE L’UNIVERS



UN SYSTÈME, LA FORME  INÉLUCTABLE DU SAVOIR ACHEVÉ

Pas d’éveil possible et durable sans une structure de consolidation spirituelle appropriée aux démarches faites en ce sens. J’ai remarqué que la plupart de ceux qui se consacrent à la pensée spirituelle sont d’une déplorable confusion mentale, comme si la spiritualité s’opposait à l’intellectualité. Il n’en est rien. Il est temps que l’on réagisse contre ces spéculations vagues qui donnent à penser que le spirituel n’a besoin ni de structure, ni de discipline, ni d’organisation.

Il est trop facile de dire que l’homme en quête de son être doit progresser, évoluer, s’améliorer. Une telle évolution n’existe pas. C’est un fantasme qu’entretiennent ceux qui ne sont pas pressés d’arriver au but visé qui consiste à être parfait.J’ai constaté le parti pris général dans le domaine de la spiritualité contre tout esprit de système. C’est une grave lacune et même une erreur coûteuse. Un système est ce qui permet à un individu qui brigue l’éveil de ne pas sombrer dans le flou des vaticinations creuses.

Les touristes de la connaissance qui se réclament de l’Inde ou de la Chine ne parviendront jamais à installer leur être profond au cœur de leur vie, car la réalisation consiste à devenir ce que l’on est et ne souffre aucun délai. Pour pouvoir s’avancer dans le domaine de la connaissance, il faut un système de référence qui nous empêche de dire n’importe quoi comme c’est trop souvent le cas. Une éthique est nécessaire pour pouvoir adopter une attitude cohérente dans la démarche qui consiste à se sentir Dieu. Il est contre-indiqué de s’en remettre à un principe transcendant déjà existant qui guide nos pas. Cheminer, c’est se perdre, s’imposer des délais, remettre à plus tard le soin d’« être » tout de suite.

LA MATIÈRE N'EXISTE PAS

Mes études en épistémologie m’ont appris que c’est à tort que l’on évoque des forces « arhimaniennes » qui viennent contrer l’élan de la personne engagée dans la conversion de ce qu’elle représente en ce qu’elle a à être. De telles forces n’existent pas et, si on se les imagine, ce n’est que dans la perspective où l’on comprend que le mal (la limite) n’est rien d’autre que le fumier dont le bien a besoin pour devenir le mieux.

Une observation attentive de mon expérience m’a montré qu’on ne perçoit jamais la matière, qu’il s’agit là d’une forme de mensonge substantiel qui sert de soutien à tous les obstacles que notre propre « nolonté » dresse devant nous, la « nolonté  » n’étant que l’impossibilité qu’éprouve la volonté de s’affirmer elle-même sans chercher à s’annuler.

Ce que j’ai constaté se résume à ceci : nous ne percevons que ce que nous nous donnons à connaître. Imaginer derrière nos perceptions un monde en retrait – en-soi, matière, grand « X » indéterminé, noumène, Dieu transcendant ou Grand Autre absolu – relève de la fantaisie. Il n’y a que nous face à nous-même. Penser qu’une longue évolution nous a permis d’être, c’est revenir à l’époque où l’on soutenait que l’homme descend du singe, alors qu’il n’est qu’une représentation dans notre esprit. Tout est un programme. Et ce programme est constitué par nous comme une limite à laquelle nous avons à nous heurter pour pouvoir nous illimiter. Rien n’est dans la matière, tout est dans la manière. Et le véritable travail spirituel consiste à comprendre que nous sommes seuls avec nous-mêmes face à l’idéal que nous nous proposons.


L'ABSOLU EST IMMANENT AU RELATIF

Un jour, je m’interrogeai à propos de ce « Dieu d’amour » qu’on me proposait et je me dis : « Voilà une mauvaise formulation. Il faut plutôt penser : l’absolu est immanent au relatif ». Que voulais-je dire alors ? Je crois bien que je m’étais aperçu que les profondeurs sont dans les surfaces et qu’il n’y a rien de si vaste, de si étranger à quoi je ne puisse avoir accès spontanément sans me torturer l’esprit avec une herméneutique. Pour pouvoir être dans la vérité, au lieu d’aller s’imaginer quelque transcendance la plupart du temps impénétrable, il fallait identifier et répertorier ce que j’appellerai « les morceaux de Dieu » dans la réalité.

Bien sûr, une telle expression exprime de façon commode ce que je pense des objets idéaux éternels que je nomme parfois aussi des immatériaux. En effet, dès mon plus jeune âge, j’ai été frappé par des surgissements de beauté, d’harmonie, qui constituaient autant de formes plastiques se référant à ce que j’avais à devenir. Je recherchais avidement ces forces disséminées dans mon expériences de tous les jours, refusant d’admettre que ce qui dominait ma vie était un inconnaissable.

On m’objectera que c’était là une critique adressée à toute connaissance substantielle. Je n’en disconviens pas. S’il fallait que je sois tout pour moi, que je sois ce qui compte à mes yeux, je ne pouvais pas admettre que je puisse me conduire envers moi comme si j’étais quelque substance secrète à connaître. Je découvris vite l’imposture de la connaissance de soi qui implique invariablement l’idée d’une fouille archéologique dans ses tréfonds comme si nous étions des étrangers à nous-mêmes. Or, ce n’était pas le cas : j’avais à m’inventer moi-même, à m’augmenter de ce que je suis, à me choisir moi-même comme absolu. Il n’en fallait pas plus pour que je décline toute invitation à la prière, tout idéal visant à regarder l’horizon les yeux humides, et que j’entreprenne de me délier intérieurement en reconnaissant que je suis cet état fondamental que recherchent les saints, les sâdhus, les rishis, les mystiques. Je me rappelle qu’à 18 ans, je m’étreignais moi-même, tout content d’apercevoir en moi le tissu cosmique de la félicité.


LE "JE SUIS" INTUSSUSCEPTIF, CLÉ DE VOUTE DE MA PENSÉE

Il me fallait réaliser que Dieu naît quand je respire, quand je fais l’amour, quand je mange. C’est cela s’intussusceptionner, s’accroître du dedans, en sorte que le dedans prenne la place de tous les dehors.

Dès mon enfance, je me suis écouté, je me suis dit oui. C’est donc dire que la morale et la religion n’ont pas eu beaucoup d’emprise sur moi. Elles m’ont néanmoins marqué, car je fus en lutte contre ces ténèbres de la raison pendant toutes mes années de formation.

Quand je regardais en moi, je n’y voyais pas un royaume inconnu, je voyais le chantier de ce que j’avais à devenir. Ce n’est donc pas la connaissance de soi qui m’a d’abord frappé, mais la nécessité impérieuse de m’arracher au néant.

On ne peut comprendre cela qu’en se remémorant le très beau mot d’André Malraux : « Je suis venu en ce monde pour répondre au besoin que j’avais de moi-même ». Mais cela donne l’impression qu’on vient d’en avant, qu’on est le résultat d’une intention constituante qui nous précède dans le futur. Et c’est là le sens même de notre entéléchie, de notre avoir-à-être-ce-que-nous-sommes. On a eu beau m’expliquer que j’étais chanceux d’avoir eu de bons parents, que j’étais le résultat d’une longue évolution, je n’en croyais pas moins fermement à ce que j’appelai par la suite l’hérédité du futur. C’est moi qui m’arrachais à mon néant du plus profond de mon avenir. Je n’étais pas né de mes parents, mais à mes parents. Il y avait en moi une irrésistible poussée êtrique qui m’inspirait une métaphysique de l’élan sans même que celle-ci eut été formulée dans ma vie.

Le mot de Villiers de l’Île-Adam « l’infini est central partout » m’a beaucoup inspiré par la suite, si bien que lorsque je pensais à mon passé, je ne pouvais le faire qu’à partir d’un « maintenant » originaire à la faveur duquel mon passé m’apparaissait comme un présent vécu avec un coefficient d’ancienneté. Qu’on me comprenne bien ici : je ne fais pas de l’homme un être historique, un homo viator comme disait Gabriel Marcel. J’avais plutôt l’impression d’être lancé dans un « parcours immobile » dans l’immanence de mon être propre, non pas un être existant, mais un être à faire exister du fait de ma propre industrie.

Réalise-t-on ce que cela signifie de se sentir Dieu, de s’aimer infiniment, de souhaiter s’arracher aux mièvreries de la condition existentielle parce qu’on sent rayonner en soi un éternel soleil ? Il ne s’agit plus ici d’évoluer, de progresser, d’atteindre une certaine maturité, de se sentir qualifié par un « ailleurs » dont on n’est pas le maître.

Ce que je détestais le plus, c’était la pensée que je n’étais pas responsable de moi-même. Toujours, j’ai refusé de me plaindre, de me sentir gêné par l’existence, aux prises avec cette glue dont Sartre a parlé dans La Nausée. Je ne me sentais pas non plus abandonné dans le monde, fini, exposé au danger, menacé dans mon être. Et ce qui s’imposa à moi très vite par suite de cette constatation, c’est que je n’avais pas besoin d’être sauvé, car je n’étais pas menacé. Sachant toutes les limites de la rébellion contre Dieu dénoncée par les prêtres qui firent mon éducation, j’identifiai cette attitude comme une « prétention absolue ». Oui, il me fallait prétendre être ce que je suis pour pouvoir m’affirmer, me renouveler, me suffire, m’intussusceptionner.

J’imagine que la Vierge Marie dut éprouver quelque chose de semblable en tant que « Mère de Dieu ». Elle était responsable de la croissance de Dieu, elle en était la porteuse, le récipient. Elle avait un devoir envers lui, à la différence de moi. En tant que personne appelée à se convertir en ce qu’elle a à être, je ne me sens pas porteur d’un grand mystère que je n’ai pas initié en moi. Mon être est plus moi-même que moi-même, ce n’est pas un Grand Autre absolu. Mon être profond, mon chéri, mon amour, n’est pas transcendant : il est immanent. Je suis cela, je suis tout. Comme le disait étrangement Gérard Depardieu : « Je veux être tout l’Être ».

Réalise-t-on à quel point je me sens responsable de ce que je suis, responsable de Dieu, de l’infini, assoiffé de ma propre gloire, plein d’humilité devant ma propre grandeur comme le suggère le titre d’un de mes livres : « Dieu existe parce que je suis ».

A-t-on compris pourquoi je suis un homme heureux, irréductiblement joyeux, un homme qui se sent Dieu, qui connaît une « assomption jubilatoire ». Oui, je l’avoue, je suis fou de moi-même, je m’étreins, je me love en ce que je suis, j’ai fait mon nid dans mon bonheur.


UNE ÉTHIQUE DE L'EXCÈS

Lorsqu’un homme ou une femme sont engagés dans l’épreuve joyeuse de l’auto-réalisation, ils ont besoin d’ignorer tout ce qu’ils ont appris jusque-là.

Par exemple, si on leur a enseigné l’oubli de soi depuis leur enfance, ils doivent avoir le courage de pratiquer le rappel à soi; si on leur a dit qu’ils devaient renoncer à leur volonté pour faire la volonté de Dieu, ils doivent être capables faire une crise d’indépendance et de revendiquer l’efficacité de leur volonté propre; si on leur a dit qu’ils ne devaient pas juger s’ils ne voulaient pas être jugés, ils doivent commencer à juger avec autorité et objectivité, et exiger qu’on les juge en retour, car le jugement des autres est nécessaire pour grandir, surtout s’il vient de nos ennemis, qui ne nous mentiront pas sur nous-même; si on leur a dit qu’ils devaient faire des efforts, se maîtriser, se retenir, ils doivent oser envoyer paître les corbeaux, car l’aigle n’a aucun conseil à recevoir du corbeau, et dans le cas présent, il doit se laisser être, il doit s’aimer infiniment, se jeter à corps perdu dans l’action extrême comme Walt Whitman nous le suggère quand il écrit : « Je me célèbre moi-même ».

Ce n’est donc pas à une morale de la prudence marquée par l’hétéronomie de la loi générale qu’est invité celui ou celle qui veut s’éveiller, mais à une éthique de l’excès qui met en pratique « l’art de savoir jusqu’où aller trop loin ». Une telle éthique est caractérisée par l’autonomie que confère la loi d’exception. Et l’adepte, en route vers lui-même, n’a que sa liberté pour le confirmer dans ce mode d’être absolu, car la liberté est la légitimation de l’exceptionnel.

Il ne s’agit donc pas ici d’une philosophie pour les peureux, les gens pusillanimes, irrésolus, effrayés par leur ombre (la personne). Rappelons-nous le mot de Nietzsche : « Ne sois pas l’ombre de ton maître, mais le maître de ton ombre ».


PAS DE SPIRITUALITÉ SANS ÊTRE

Si le Dieu transcendant n’est plus le critère de vérité de celui qui se reconnaît Dieu et qui veut opérer l’absolu, alors il faut qu’il s’en remette à l’immanence de son être et qu’il laisse de côté toute forme de transcendance.

On me comprendra ici : le fait de ne plus me sentir séparé de Dieu ou de quoi que ce soit m’oblige à adopter la « position infinie de moi-même ». Cela n’enlève rien à Dieu et je m’entends très bien avec les croyants sincères et passionnés. Saint François d’Assise est mon frère, sauf que je ne peux plus prier : je bénis ! Ce n’est pas à la suite d’un raisonnement intellectuel que je me suis installé dans mon être. Derrière ma position, il y a un énorme vécu. De même qu’au niveau épistémologique, je n’ai pas compris du jour au lendemain que la matière n’existe pas et qu’elle n’est que la projection d’un schème d’impuissance de la part de l’homme.

Il m’a fallu du temps pour comprendre que j’étais différent de tout le monde mais que je n’étais séparé de personne.

Lorsque cette fusion m’est devenue manifeste au sein de ma compréhension fondamentale englobante, je me suis mis à bénir avec la même spontanéité qui guide ma respiration, par suite d’un débordement de moi-même dû à une augmentation de soi par soi. Il m’a fallu beaucoup m’écouter pour en arriver là.

La distinction entre l’âme et le corps soutenue par la philosophie classique ne trouve aucun écho en moi, pas plus que la distinction entre Dieu et ma personne. Je suis tendu vers l’invention de moi-même avec le même enthousiasme que d’autres s’investissent dans la connaissance de soi.

À cause de mon épistémologie, la spiritualité n’est qu’une des couches intelligibles de ma conscience. En d’autres mots, elle est constituée par des intentions secondes qui la visent comme région immanente de mon expérience, de mon comportement. C’est ce qui m’a amené à considérer le bonheur comme l’expression de mon être, comme le point de départ de ma vie, par opposition à l’amour chrétien dont on a dit qu’il peut tout alors que finalement il ne peut rien. Pour aimer, pour penser, pour ressentir, il faut être : agere sequitur esse. C’est l’être bienheureux qui est primordial. Mais, comprenez-moi ici : il est primordial dans la mesure où je me le donne, où je m’avantage moi-même. J’ai vite réalisé dans la vie que je n’avais aucun intérêt à me nuire et que pour me sentir libre, il fallait que j’abatte la loi générale qui est source de culpabilité et d’angoisse, car lorsqu’une autorité qui n’est pas la nôtre nous domine, il est très facile de se sentir coupable.

On pensera peut-être ici que j’ai entrepris une lutte contre moi-même. Eh non ! on ne fait pas le ménage dans une maison qui va brûler. L’être n’est pas un contenant qu’il faut remplir mais un foyer qu’il faut allumer, pour paraphraser Plutarque. Et quand la baraque du Moi brûle, ce qui reste se révèle nécessaire, essentiel. Comprend-on pourquoi je ne suis pas en lutte contre le Moi ? Il est fait tout entier pour aller au Soi, en tant qu’il se convertit en cela.


LA VIOLENCE CRÉATRICE

Il nous faut réaliser ici qu’il n’y a aucune sentimentalité dans la création. Créer, c’est introduire dans la nature une violence contre laquelle elle se hérisse. Or, même si Gustave Meyrink a pu dire que les rayons du monde spirituel sont doux et chauds, il en va tout autrement lorsqu’il s’agit de l’énergie êtrique. C’est probablement à elle que faisait allusion saint Paul lorsqu’il s’écriait : « Il est terrible le Dieu Vivant ! »

Comprend-on que ma pensée n’est pas au service de la société de consommation prête à tous les compromis avec le pouvoir, à toutes les prostitutions, à toutes les abnégations veules qu’exige la participation à la loi générale ? Il existe une autre loi que la loi générale, c’est la loi d’exception. Celle-ci n’est pas marquée par l’hétéronomie, mais bien plutôt par l’autonomie. Or, si je suis engagé dans l’invention de moi-même, on ne peut m’inviter au respect de la loi générale.

Qu’est-ce qu’un créateur dans le monde spirituel ? C’est un César avec un mental de Christ, c’est un Gengis khan psychique, c’est un Tamerlan inspiré. On se rappelle le mot de Jésus « Les faibles, je les vomirai ». Nous ne sommes pas ici en présence de quelqu’un qui est prêt à faire des compromis. Il est animé par un feu vivant qui fait de lui une menace pour le monde. Il nous fournit le modèle de l’individu éveillé dont les ambitions superjectives constituent pour les valeurs établies le plus formidable défi. La violence créatrice n’est pas du tout la violence de la guerre, de l’oppression, de la brutalité finie; c’est la violence de l’infini, celle que connaît l’artiste en lutte avec son matériau, celle que connaît l’homme engagé dans le processus de la seconde naissance. Il n’est donc pas question dans cette aventure de ménager la chèvre et le chou. Celui qui est épris d’absolu et d’immortalité peut être considéré comme un malade, et cette maladie est esprit. Elle est ce qui vient changer l’ordre des choses au nom de l’opérationalité du miracle.


LA CONVERSION MÉTAPHYSIQUE

On devine que n’ayant jamais accepté la distinction formelle entre l’âme et le corps, tout comme la distinction épistémologique entre la pensée et le monde, je n’ai pas adhéré à la tendance qui visait à discréditer le Moi, l’Ego, la personne. N’étant pas un adepte du yoga et réfutant la doctrine de Plotin, je ne crois  pas à la nécessité d’une purification qui tendrait à inscrire en nous une méfiance à l’égard de la chair, de la sexualité ou de l’individualité.

Non seulement je ne crois pas qu’il existe une âme qui anime le corps en tant que principe séparé plongé dans une chair, mais je considère plutôt que le corps n’est pas un objet matériel et qu’il constitue une représentation dans notre esprit. Parler d’une union substantielle entre le corps et l’âme ou d’une incarnation de l’esprit dans la matière me semble farfelu.

Rappelons-nous ici que je ne me sens séparé de rien et que le corps n’est pas moins important dans ma philosophie que le divin. Je ne suis donc pas porté à penser que nous devons nous méfier du corps, de la sexualité ou des sens. À ce niveau, Descartes était aussi chrétien que Thomas d’Aquin. Mais comme je crois en la personne, malgré le piètre état en lequel elle nous tient, je ne suis pas porté à m’en séparer tout comme je ne suis pas porté à dévaloriser l’Ego. Ces instances constituent plutôt les éléments qui viennent enrichir notre foyer ardent d’origine êtrique. Aucune lutte contre soi-même n’est donc requise dans ma pensée, puisque tout ce qui constitue une limite par rapport à notre développement doit être intégré à celui-ci, transmuté, converti en ce que nous avons à être. Au lieu donc de parler de purification et de séparation, je préfère parler de conversion. Cela va dans le sens de ma pensée profonde qui vise à récupérer dans l’être ce qui s’oppose à l’éveil afin de n’être séparé de rien de ce qui constitue ma vie.

LA TRANSMISSION DU LOGOS SPERMATIKOS 

Comprenez-moi ici, le fait de se reconnaître Dieu parce que nous ne sommes séparés ni de lui, ni des morts, ni de la réalité ne demande aucun effort. Il suffit simplement de nous apercevoir qu’il en est ainsi. Or, rappelons-nous du mot de Ma Ananda Moï : « Si je suis Dieu, mon corps aussi est Dieu ». Nous avons maintenant à nous inscrire en tant que personne dans cette vision.

Or, qu’est-ce que la personne dans le cadre de l’immanence de l’absolu au relatif ? Elle n’est rien d’autre qu’un tabernacle de lumière spermatique. Il s’ensuit que si j’utilise ma personne pour étreindre dans mes bras une autre personne, ce n’est pas seulement l’humain que je suis qui entre en contact avec elle, c’est mon être tout entier, la Force infinie, l’incommensurable en marche.

C’est cela qu’on ne comprend pas lorsqu’on oppose la chair à l’esprit. Toute chair est transfigurée par la présence qui s’en sert comme véhicule d’expression consacré. Si je mange avec quelqu’un, si je serre cette personne dans mes bras, si je me fusionne à elle sexuellement, cela signifie que je lui transmets le Logos spermatikos. Mais, attention ici ! D’une part, il faut comprendre que je suis éveillé et que rien ne peut s’opposer à l’action de mon intransigeance radicale êtrique. D’autre part, cela ne signifie pas que cette transmission se limite au coït, ou à une bénédiction distincte de la chair.

Imaginons un homme et une femme qui ont un enfant malade. Ils ont installé son petit lit dans leur chambre pour le veiller. À dix ans, il est atteint d’une leucémie mortelle. Déjà, il ne peut plus se lever de son lit. Quand ils viennent me consulter pour savoir s’il y a quelque chose à faire, alors que la médecine a condamné leur enfant, je leur réponds qu’ils peuvent agir en utilisant leur être profond. Malgré leur angoisse et leur désespoir, je leur demande de rassembler leurs forces pour pouvoir s’étreindre. Je sais qu’ils n’ont pas le goût de la fête et que pour faire l’amour, il leur faut aller chercher en eux un supplément d’être. Je leur demande néanmoins de s’abandonner intérieurement et de s’unir dans un coït dont le but sera de libérer le Logos spermatikos. Ils procèdent comme je le leur ai recommandé : au moment de l’orgasme, ils se tournent vers leur fils qui est dans un semi-coma et le bénissent au nom de leur amour. Dans les semaines qui suivent, non seulement leur fils condamné ne verra pas sa situation se dégrader, mais il parviendra à récupérer au cours de l’année.

On m’objectera que ma pensée frôle ici l’obscénité. Pourtant, je rappellerai a ceux qui auraient des objections à faire que d’après mon monisme immanentiste, la chair est sainte et se veut conductrice des intentions supérieures créatrices qui l’animent. Le jour où l’on commencera à comprendre ce que je nomme la sexualité-lumière, on réalisera que l’essence de l’érotisme est pure spiritualité.


LA VOIE DE L'OCCIDENT

Nous voilà parvenus à la conclusion de cet article considérable. J’ai maintenant des choses à dire concernant la spiritualité de l’Occident. Au cours des siècles, pour ne pas dire au cours des millénaires, nous nous sommes mis à la remorque des pensées orientales. Qu’il s’agisse du christianisme, de l’hindouisme ou du bouddhisme, nous nous sommes accrochés à ces autorités qui nous apportaient la « bonne nouvelle ». Mais sommes-nous si dépourvus ? Avons-nous depuis les Celtes trouvé quelque réponse typique de chez-nous à nos problèmes ou bien resterons-nous toujours tributaires de l’Orient ?

Je ne veux pas dire ici que je n’ai pas un immense respect pour le shintoïsme, le taoïsme ou même la métaphysique juive de Hillel. Je me demande seulement si nous sommes capables de penser par nous-mêmes. Je vois autour de  moi des gens qui s’adonnent à la méditation transcendantale, au yoga, à la pensée de l’Advaïta, et je ne vois aucune objection majeure à un tel comportement.

Mais sommes-nous capables de trouver une inspiration issue de notre terre d’Occident qui soit en mesure de nous guider ? Y a-t-il quelque Christ ou Bouddha européen ou américain qui puisse ouvrir la porte à une vérité qui nos convienne, à « la Vérité » ?

Après avoir consacré 45 ans de ma vie à développer un système cohérent, nouveau, original et profond, j’avoue que je suis réfractaire à cette spiritualité rose bonbon des bonimenteurs aux mains jointes qui, au nom de l’hindouisme, du yoga ou d’une mystique chaste, jettent le discrédit dans les pages mêmes de cette revue sur le jovialisme, une philosophie sans béquille qui ne s’en remet pas à ce que les autres ont pensé mais pense par elle-même. Or, ce qui vient des autres est souvent, avouez-le, associé à la souffrance, au sacrifice, à la négation de la valeur et de la richesse de l’érotisme au nom d’une vision qui méprise le corps et le plaisir. Le temps est venu de dire zut à ces chantres de l’Orient qui méprisent la volupté, le bonheur et la fête tel que cela nous convient chez nous. Il est trop facile d’aller dire que le salut vient de l’Orient. « Alors que vous aurez la nuit, écrit James Joyce à l’intention des Orientaux, nous aurons le matin ». Je vous demande ici de cesser d’être des colonisés de l’Orient pour m’aider à ouvrir la Voie de l’Occident.

André Moreau

 

LES 50 QUESTIONS POSÉES À ANDRÉ MOREAU PAR UN ADMIRATEUR.

Que penses-tu de:

1-Diogène?

Diogène est sorti un jour de son tonneau, il lui restait une écuelle pour prendre de l'eau à la fontaine. 

Un enfant est arrivé, il a pris de l'eau avec sa main. Diogène a jeté son écuelle en disant j'avais encore quelque chose de trop.

2-Épicure?

L'ancêtre, du Jovialisme!

3-Jésus?

Euh...le fils d'un charpentier et d'une bonne à rien du côté de Nazareth et qui on aboutit à une vision erronée du monde fondée sur la souffrance et que je dois essayer de corriger sans souffrir moi-même.

4-Marc Aurèle?

Ah ! Marc Aurèle...à la fin de sa vie il était amoureux de jeunes hommes et je pense que, c'était vraiment une solution dans son cas, comme dans le cas de tous les hommes qui en arrachent avec les femmes.

5-Augustin?

Augustin, à sept ans, a eu une érection prématurée dans un bain romain. Vous savez que les familles romaines se baignaient nues, à cette époque là, ensembles. Et son père c'est exclamé qu'il allait devenir quelqu'un d'après la vigueur 

 son érection. On sait par la suite qu'il devait y renoncer...

6-François D'Assise?

Ah ça c'est un grand Saint, mais la seule chose qu'il a dite, qui à mon avis était profondément jovialiste à la fin de sa vie en mourant : il a demandé pardon à son corps de l'avoir à ce point torturé.

7-Paracèlse?

De son vrai nom Theofrastus Von Bombastus maître de Nostradamus, il a fait des prédictions qui ce sont avérées fausses à 99.9%, ce qui nous a amené à l'oublier et c'est pourquoi... je l'ai oublié.

8-Pascal?

Pascal a dit que nous étions divertis par les bruits du monde et je suis passablement d'accord avec lui, car ce divertissement est ce qui éloigne de soi-même.

9-Voltaire?

Voltaire a dit une chose qui m'a servi dans mon épistémologie immatérialiste. Il a dit: « Tout le monde regarde ce que je regarde, mais personne ne voit ce que je vois. »

10-Kant?

Kant n'a jamais vraiment quitté sa ville natale Koenigsbourg. Il se levait toujours du même côté du lit, le matin. Il prenait une tasse de café de Hongrie, s'en allait à l'université faire ses leçons en suivant le même trottoir. 

Le soir il invitait quelques personnes à sa table et il se recouchait de l'autre côté du lit dix minutes après avoir cessé de penser. Ce genre de vie me donne à croire qu'il y a sûrement mieux à faire de son existence.

11-Schopenhauer?

J'ai rêvé à lui cette nuit! Il était électricien dans une nouvelle ville. Ça m'a beaucoup surpris! Je faisais un cours sur Schopenhauer, c'est vrai! Je faisais un cours sur Schopenhauer à des femmes! Et tout d'un coup je vois qu'il y avait dans l'assistance, un invité inattendu: c'était lui même! Je me suis approché de lui et c'est là que j'ai compris qu'il était devenu électricien. Il avait lâché la pensée pour l'électricité. C'est un peu dans le même "bag".

12-Kierkegaard?

Ah Kierkegaard! Kierkegaard était un chrétien viking désenchanté. C'était un solitaire qui vivait au Danemark. 




Il est mort prématurément à force de mélancolie et la femme qui l'avait délaissée, a fait ses relations publiques après sa mort; et comme elle a vécue cent ans, c'est à cause d'elle que nous le connaissons aujourd'hui.



13-Nietzsche?

Nietzsche disait je ne suis pas un homme, je suis de la dynamite! C'est probablement le penseur qui me ressemble le plus.

14-Gandhi?

Gandhi a enseigné la non-violence selon sa foi religieuse qu'on appelle le Jaïnisme, mais je ne suis pas sûr qu'au fond ce n'était pas un violent refoulé.

15-Et finalement Moreau?

Mon nom André Moreau philosophe peut se comprendre ainsi: Andros qui veut dire homme, Moreau vient du Grecque "la moria" qui veut dire la folie et la philosophie ça vient du Grecque qui veut dire: qui aime la sagesse. Alors je suis l'homme fou qui aime la sagesse.

16) Louis - Ok André! On connaît l'importance de la philosophie dans le développement pensée occidentale, en Grèce, en France à l'époque des Lumières, pourquoi qu'aujourd'hui il n'y a plus personne qui prend la philosophie au sérieux?

Moreau - Il y a eu de nombreuses époques comme ça dans l'Antiquité. Au Moyen Âge, il y a eu certainement une période de sept cents ans où on ne prenait pas la philosophie au sérieux. Il y a eu une sentinelle à cette époque là Jean Scott Érigène, en plein milieu de nul part, qui a représenté la philosophie. Mais c'est qu'au Moyen Âge c'était ne période de grande obscurité et euh...les vrais philosophes vivaient sous terre dans des laboratoires secrets, c'était les Alchimistes: les véritables héritiers des Grecques et les annonciateurs de la pensée moderne. C'est d’ailleurs d'eux que s'inspirait Nostradamus, celui qui a annoncé le Grand Jovialiste.

17) Louis - À quoi ça sert la philosophie?

Moreau - Ça ne sert à rien! Il est absolument important de comprendre que nous n'avons rien à faire sur Terre et que notre existence est inutile. Mais si nous en prenons parfaitement conscience nous serons très heureux.

18) Louis - Si comme Socrate, on te condamnait pour avoir corrompu la jeunesse; si on te condamnait soit à boire la ciguë ou à enculer André Boisclair, qu'est-ce tu ferais?

Moreau  - Je pense que je me suiciderais.

19)  Louis - Si tu devais définir le Jovialisme à un enfant, qu'est-ce que tu y dirais?

Moreau   - Ah je pense que je lui dirais, euh...qu'il devrait continuer à croire que sa volonté est faite, que ses parents vont toujours s'arranger absolument pour faire ses quatre volontés et qu'il devrait continuer à penser ainsi parce que le monde va prendre la place de ses parents et va s'en charger. Je crois que la supériorité de l'enfant sur l'adulte, c'est que l'enfant croit qu'il peut faire et il y parvient en mettant tout le monde à son service. C'est formidable!

20) Louis  - Penses-tu que le Jovialisme va te survivra, si oui qu'est-ce qu'on va en penser plus tard?

Moreau  - Je vais te dire une chose, depuis que je bénis mes gènes d'immortalité, je ne crois pas que quoi que ce soit me survive.

21) Louis - Est-ce que le suicide est, comme Camus l'a dit, la question philosophique la plus importante?

Moreau  - Écoutez, la mort pour moi n'est rien d'autre que la dissociation de la représentation de notre corps pour autrui d'avec la représentation de notre corps pour propre. Ça ne change strictement rien. Alors pour moi le suicide n'a pas de signification puisque ça ne change rien. Rien ne change rien à rien. C'est cela que les gens ne comprennent pas. Je ne suis ni pour ni contre le suicide. Je crois que la mort est un simulacre et que nous restons avec ce que nous pensons de nous-même. Aussi bien penser du bien de soi, à ce moment là.

22) Louis - Si tu pouvais souper avec un illustre philosophe avec qui mangerais-tu?

Moreau - Ah je pense que je mangerais avec Schopenhauer j'ai rêvé à lui la nuit passée. C'est un homme brillant et génial. Et j'hésite dans le passé entre deux super génies: Hegel et Schopenhauer. Je ne me suis pas décidé sur lequel était le plus brillant mais je crois que c'était Schopenhauer. 

 Schopenhauer bougon, il était misogyne et il était grincheux mais il était génial ce qui aide à supporter tout le reste. Il a écrit un livre immense: Le monde comme volonté et comme représentation, que j'ai lu douze fois à la suite de quoi j'ai fait une dépression.

23) Louis - Qu'est-ce que la vérité?

Moreau - La vérité est quelque chose dont tu n'es jamais sûr à moins de la faire toi-même.

24) Louis - Est-ce qu'il y a une vie avant la mort?

Moreau - Y'en a certainement une avant et y'en a certainement une après pour ceux qui aime la vie. Mais comme la plupart des gens sont des morts qui ne sont pas encore entrés en fonction, la question n'est pas très pertinente.

25) Louis - Est-ce qu'on doit légaliser toutes les drogues?

Moreau - Je ne pense pas que nous ayons besoin d'une loi pour faire ce que nous avons envie de faire. L'autre jour j'ai appris que la chambre haute avait déclaré euh....légal qu'on puisse faire des orgies. On m'a invité à la télévision pour me demander de quel côté j'étais. Ben j'ai dit: j'ai pas besoin d'une loi pour me confirmer que je peux faire une orgie. Puis deuxièment, j'ai pas besoin d'un club échangiste parce que je peux recruter mes partenaires sans payer une taxe. Tout le monde était mécontent et je suis parti chez moi de façon très réjouie.

26) Louis - L'école ça devrais-tu être obligatoire?

Moreau - Non! Bientôt nous apercevrons des injections d'algèbre, de chimie, de physique. On a injecté des fragments de cerveau de rat à un poisson et le poisson est devenu plus intelligent. Alors vous vous rendez compte nous sommes à deux doigts de ne plus aller à l'école; on ira prendre ses injections annuelles et on passera le reste du temps à apprendre les bonnes manières à la table.

27) Louis - Pour ou contre la peine de mort?

Moreau - Vous savez, comme la majorité des gens sont déjà morts, je n'ai aucune opinion à ce sujet.

28) Louis - Penses-tu qu'on vit dans une démocratie?

Moreau - Nous vivons plutôt dans une médiocratie égalitaire. Nous sommes dans une société de médiocres euh...et je pense que c'est très bien comme ça, parce que plus il y aura d'imbéciles, plus leur nombre mettra à part ceux qui doivent être reconnus comme étant intelligents. On pourra alors les identifier.

29) Louis - On peut tu faire confiance aux politiciens?

Moreau - Écoutez...un politicien fait parti d'un club qu'on pourrait appeler une société d'exploitation humaine; c'est une organisation de malfaiteurs spécialisée dans l'extorsion de fonds euh...par les taxes, les impôts, la loterie, les magouilles et qui essaie de faire croire aux citoyens qu'ils participent à la gestion de l'État parce qu'il peut voter. Mais en réalité tout cela est une illusion parce que si voter pouvait changer quelque chose, voter serait interdit.

30) Louis  - Qu'est-ce que tu préfères une monarchie gouvernée par un homme éclairé ou une démocratie gouvernée par un homme d'affaires?

Moreau - Je crois que j'aime bien les monarchies. Mes rapports avec le roi de Suède, à qui j'ai envoyé "Cent Millions De Christs", sont excellents. Il m'a fait répondre qu'il parlait français depuis son illustre ancêtre Bernadotte et qu'il me lirait. Depuis ce temps là, il semble m'éviter.

31) Louis - Au Québec on dit souvent que la culture c'est la langue, si on devenait anglophone est-ce que la culture Québécoise disparaîtrait?

Moreau - Y a-t-il une culture Québécoise? Moi je me défini comme un écrivain Français vivant en Amérique du Nord. Y a-t-il un pays? Je ne me reconnais aucune frontière. Et si vous me demandez à quel pays j'appartiens, je vous répondrai que je suis un citoyen du monde. Mais que pour parler physiquement et géographiquement, étant donné que je demeure au 1 Côte Ste-Catherine, il y a là-bas un périmètre qui me permet de revendiquer le fait que je suis un Côte Ste-Catherinien. C'est ma seule attache.

32) Louis - Est-ce qui faut limiter ses désirs pour trouver le bonheur?

Moreau - Non! Il faut les enfiler comme des tempêtes. Il y a une grande différence entre le désir et le besoin. Un individu qui a des besoins est dépendant, un individu qui a des désirs est libre. Le désir c'est notre être profond qui frappe à la porte de notre conscience.

33) Louis - Si Épicure existait aujourd'hui, y aurais-tu un char?

Moreau - Il aurait un chauffeur en tout cas.

34) Louis - L'homme simple, c'est tu un ignorant ou un sage?

Moreau - L'homme simple est simple, hein ! Les Russes appellent l'homme simple, avec une certaine vigueur vitale, un obivatel. Les obivatels sont assez ternes. Ils aiment danser la gigue, jouer au bowling, aller à Old Orchard. Ce sont des gens ordinaires auxquels je ne consacre pas la moindre pensée. Mais à part ça, c'est un excellent fumier d'où peut sortir une tête intelligente. Combien de parents idiots ont mis au monde un génie et combien de génies ont mis au monde un idiot.

35) Louis - Doit-on tolérer le Kirpan?

Moreau - Ça c'est complètement absurde! On devrait tous être tout nu.

36) Louis - Donc les femmes voilées c'est aussi absurde? 

Moreau - Écoutez c'est absurde cette idée-là de vêtements. Notre corps c'est de l'information. Tu mets un vêtement sur notre corps, c'est de l'information sur une information. On va devenir tout mêlé. Moi je me promène nu, dans ma maison et partout où je ne risque pas d'être incommodé par la police. Je n'ai pas besoin d'aller dans un camp naturiste pour me mettre nu. J'arpente les forêts du Québec nu, je me mets nu sur ma terrasse, puis des fois je m'expose nu dans ma vitrine et les voisins d'en face me regardent, mais je pense que j'ai réussi à être comblé. En tant qu'exhibitionniste volontairement conscient, j'ai rencontré une femme d'origine sémitique qui, après vingt et un ans de contemplation morose, chaque fois que je me montre nu sur mon balcon, souffre d'un étrange strabisme. Récemment son mari qui est un petit vieillard malingre aux jambes noires m'a dit dans le corridor: "I think she's becoming crazy. I don't understand her anymore." Il ne sait pas encore que c'est moi qui la travaille.

37) Louis - Donc euh...les filles prépubert qui s'habillent avec de la soie dentaire, tu tolères ça, c'est correct?

Moreau - Vous savez dès que quelqu'un est capable de remonter l'âge à laquelle remonte son premier souvenir, cet âge là est l'âge de sa maturité psychologique. Si une personne, à deux ans, peut dire: Moi là je me souviens de quelque chose. C'est à ce moment qu'elle a été consciente. Alors voyez-vous je ne crois pas que l'enfance existe. C'est un concept hypocrite que les théoriciens de l'éducation ont inventé pour séparer les adultes menteurs des enfants qui disent la vérité. Moi je dis que tout le monde doit aller tout nu, surtout les enfants, parce que c'est la pureté. D’ailleurs le célèbre peintre Balthus, le plus grand spécialiste au monde des vulves des petites filles impubert, serait d'accord avec moi. Le seul peintre de notre époque à être entré au Louvres, à part Picasso, de son vivant.

38) Louis - Est-ce que la religion est synonyme d'endoctrinement ou de spiritualité?

Moreau - La religion est un moyen de gouvernement où l'on essaie de soumettre avec des lois des individus qui sont faits pour vivre sans loi.

 39) Louis - Marx disait que la religion est l'opium du peuple...

Moreau - Je suis amplement d'accord avec ça.

Louis - ...mais dans notre société laïque c'est quoi l'opium du peuple?

Moreau - Toutes les formes qui ont remplacé la religion: Love Story, l'humour plate des humoristes contemporains, grotesques et ridicules. La religion est devenue l'opium...l'humour est devenue l'opium du peuple.

40) Louis - Où se trouve le salut de l'homme?

Moreau - En lui-même! Il y a un proverbe hindou qui dit: Si les dieux avaient voulu se cacher à un endroit où l'homme n'aurait songé à aller le chercher, ils se seraient cachés en lui.

41) Louis - Une question qui fascine beaucoup de monde depuis la sortie de "Da Vinci Code": Est-ce que Jésus a eu des enfants?

Moreau - Vous savez c'est très difficile à dire. Jésus me semble plutôt un gars en transe et lorsqu'il a dit à Pierre: Pierre tu es pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église, je crois qu'il a voulu dire: Pierre tu es stoned! Je crois que c'est une affaire comme ça qui s'est produit. En réalité, il doit avoir eu des enfants. Sapristis, il avait l'air normal, il faisait une colère de temps en temps. Il n'était pas drôle mais quand même, c't'un gars sympathique.

42) Louis - Y aurait-il eu une seule bonne raison de faire la guerre?

Moreau - Écoutez, la guerre c'est des dizaines de milliers d'endormis qui essaient de tuer des dizaines de milliers d'autres endormis. Si tous ces gens-là s'éveillaient, ils déposeraient leurs armes et rentreraient chez eux. Le plus grand fléau qui menace, à l'heure actuelle l'armée américaine, c'est la désertion. Il y a quelques soldats qui commencent à comprendre qu'ils n'ont rien à faire là. Aucune guerre n'est légitime mais il faut quand même comprendre ceci: Il n'existe aucune sorte d'injustice dans le monde. Même celles qu'on dit les victimes les plus innocentes reçoivent partout et constamment le salaire de leurs pensées. On ne meure pas parce que quelqu'un nous tue, mais on meure parce que notre heure est arrivée.

43) Louis - Est-ce que le prochain antéchrist va venir du monde arabe?

Moreau - Je crois que le prochain antéchrist ferait bien d'apparaître le plus tôt possible pour nous délivrer de tous christs qui sont autour de nous.

44) Louis - Une toile blanche exposée dans un musée, est-ce de l'art?

Moreau - Non c'est du nudisme.

45) Louis - C'est qui les trois auteurs Québécois que tu estimes le plus?

Moreau - Yves Thériault parce que je l'ai connu personnellement, c'était un ami et il est l'auteur d'Agaguk. Germaine Guèvremont à cause du Survenant. Si vous entendez lire le Survenant de Germaine Guèvremont par Françoise Faucher, vous aller certainement trouver que c'est là un texte digne de « La Princesse de Clèves » de Madeleine de Lafayette. C'est de toutes beautés et le troisième auteur Québécois qui m'épate le plus c'est une de mes compagne: Frédérique Marleau!

46) Louis - Est-ce tu recommande la masturbation?

Moreau - Non! La masturbation est toujours une activité par défaut. Un individu qui se masturbe, je pense plutôt aux hommes là, je m'abstiendrai de parler des femmes, est quelqu'un qui est trop mal pris pour trouver une femme qui puisse le faire pour lui. La masturbation, mes chers amis, c'est un petit peu comme un aveu d'impuissance: "Regardez-moi je suis obligé de me masturber, je suis tout seul, je n'ose pas utiliser ma séduction, je n'ose pas utiliser mon intelligence, je suis mal pris dans le monde, je suis tout seul. Voyons donc! Est-ce que vous croyez vraiment que je me masturbe? C'est vrai qu'avec sept femmes ça me tient drôlement occupé.

47) Louis - Doit-on permettre aux enfants des jeux érotiques?

Moreau - Mais les enfants sont érotiques de pieds en cape. Ce sont des fontaines de jouissance. Jésus qui vivait dans un paradis ne pouvait pas ne pas dire: Laissez venir à moi les petits enfants. Il y a une...l'existence est extase, comme je le disais tout à l'heure. Alors pour moi tous les enfants sont des modèles érotiques et les juges de la Cour Suprême ne comprennent pas ça, ce sont des imbéciles. 

Une civilisation entière, la civilisation Grecque, a été fondée sur l'amour sexuel des enfants. Mais nous qui sommes judéo-chrétiens, affublés d'une épouvantable culpabilité, nous faisons la chasse aux sorcières en essayant de couper les enfants des adultes, ce qui est une sottise.

48) Louis - Guy Cloutier, pas un criminel?

Moreau - Écoutez je vais vous dire quelque chose. Pour être un vrai criminel faut être responsable, mais un endormi, peut-il être responsable?

49) Louis - Pourquoi tu penses qu'on interdit la polygamie?

Moreau  - Parce qu'il y a des gens qui sont assez idiots pour se marier à sept ou huit femmes. Pourquoi ne pas tout simplement vivre avec elles sans contrat. Toutes ces lois sont inutiles. On n’a pas besoin de lois pour nous interdire de la polygamie. Ne vous mariez pas. Puis si il y a des femmes qui veulent faire comme les hommes et pratiquer la polyandrie, vous n'avez qu'a vous entourer d'hommes qui veulent faire vos caprices et qui peut-être, comme Aristote, voudront faire le cheval pendant qu'une femme les monte comme une écuyère.

50) Louis - Qu'est-ce que tu dis à un homme qui craint les femmes pour l'aider?

Moreau - Je ne sais pas si je peux aider un homme qui craint les femmes, parce que c'est un mal incurable. Comment peut-on craindre une anticipation de la béatitude? C'est comme si tu me disais: Quel conseil donnerais-tu à un homme qui a peur du paradis; bien suicides-toi.

51) Louis - Quelle est la plus grande qualité et le plus grand défaut que peut avoir une personne?

Moreau - Ça dépend de la personne. La plus grande qualité ce serait de sentir Dieu et le plus grand défaut ce serait de ne pas se sentir.

52) Louis - Si comme les jivaros tu pouvais réduire la tête de ton pire ennemi, qui choisirais-tu?

Moreau - Je n'ai pas de pire ennemi. Tout le monde sait que je suis parfaitement aimable.

53) Louis - Qu'est-ce que tu penses de l'affirmation de Leibniz qui dit que: "Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes".         

Moreau  - Je suis absolument d'accord avec ça. Tout va vers sa fin ultime. Prenez par exemple un crayon comme celui-ci. Regardez, si je le suspens dans les airs et que je l'abandonne à lui même, regardez bien! Où va-t-il? Vers sa fin ultime, le centre de la Terre. Nous allons tous vers notre centre. Sauf que le centre des endormis est un centre géographique et que le centre des éveillés est l'Être!

54)  Louis - Bref on n’est pas obligé de changer le monde?

Moreau - Nous ne sommes pas obliger de changer le monde, nous ne sommes pas obligé de nous changer. Nous pouvons aimer l'état dans lequel nous sommes. Et quand à moi, je suis dans un état tel, qu'il ne peut être amélioré.

55)  Louis - De quoi es-tu le plus fier de quoi est tu le moins fier?

Moreau - Ah ça je vais vous répondre ici d'une façon très très précise. La chose dont je suis le plus fière en ce monde, alors que mes parents étaient extrêmement âgés, c'est que je les ai soutenus jusqu'à la fin. Et quand on songe que ma mère est morte à quatre-vingt dix-sept ans...la chose dont j'ai été le plus fier moi, fils unique, d'être si organisé pour leur avoir apporté un soutient logistique parfait, sans devenir leur esclave et sans me sacrifier. Ça c'est la chose dont je suis le plus fier. La chose dont je suis le moins fier?...Hum...Écoutez, je ne sait pas si je me retrouvait à dix-huit ans avec ce que je sais aujourd'hui, si je serais un philosophe? Je crois que je serais un romancier et je me ferais entretenir par une riche douairière de la Côte d'Azur. Je passerais mes idées autrement. Mais j'ai, au cours de ma vie, mené un immense combat complètement inutile. Alors euh...je ne suis pas si fier que ça d'avoir assumé une sorte de mission, ce n'est pas nécessaire parce que c'est du travail et que le travail n'est jamais un signe d'intelligence.

56) Louis - Si tu devais composer ton épitaphe ce soir...qu'écrirais-tu?

Moreau  - Écoutez ça s'peut pas! Disons que je vais composer ma pierre d'immortalité. Ce que les pharaons appelaient une Cartouche d'immortalité. J'y mettrais euh...le mot très beau du poète Georges Grenier:"L'esprit, la nuit, sans bruit, produit, son fruit, gratuit." Je mettrais ça.